- autrui
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• altrui 1080; cas régime de autre♦ Un autre, les autres hommes. ⇒ prochain.1 ♦ Cour. (compl.) Agir pour le compte d'autrui, au nom d'autrui. Les dépouilles d'autrui. Voler le bien d'autrui. L'amour d'autrui. ⇒ altruisme. « L'on ne prête à autrui que les sentiments dont l'on est soi-même capable » (A. Gide). « Ma pitié, ou du moins cette sorte de malaise devant la misère d'autrui » (F. Mauriac). PROV. Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu'on te fît.2 ♦ Littér. ou didact. (sujet) « Autrui n'a même pas toujours besoin de formuler un conseil » (Romains).autruiPron. indéf. inv. Litt. Les autres, le prochain. Le bien d'autrui.⇒AUTRUI, pron. indéf.A.— Un autre, les autres, l'ensemble des hommes par opposition au moi du locuteur et en exclusion de ce moi.1. [Le plus souvent, précédé d'une prép.] :• 1. Tu peux, fausse comme elle et comme elle sans foi,Être encor pour autrui ce que tu fus pour moi.CHÉNIER, Élégies, 1794, p. 53.• 2. ... devinez sans être devinés, déjouez le jeu d'autrui sans permettre à autrui de lire dans le vôtre; autrement dit : défaites chez autrui l'œuvre d'artifice pour y retrouver la vérité, mais ne permettez pas à autrui de percer votre vérité propre; ...JANKÉLÉVITCH, Le Je-ne-sais-quoi et le presque-rien, 1957, pp. 10-11.Rem. 1. Toutes les prép. peuvent introduire autrui (à, avec, chez, dans, d', en, envers, par, pour, sans, sur, vers, etc.). 2. Autrui précédé de la prép. de est souvent compl. de nom : affaires, (aux) dépens, droit, liberté, malheur, opinion d'autrui; celui, celle, ceux d'autrui.2. [Plus rarement, dans une constr. sans prép.]a) Compl. d'obj. dir. ou attribut :• 3. Ne pas aimer quand on a reçu du ciel une âme faite pour l'amour, c'est se priver soi et autrui d'un grand bonheur.STENDHAL, De l'Amour, 1822, p. 69.• 4. Si, au contraire, l'homme et les esprits purs n'avaient pas de choix entre Dieu et eux-mêmes, entre l'infini et le fini, leur personnalité n'existerait que comme une dépendance absolue de la personnalité divine; ils seraient autrui et non pas eux.LACORDAIRE, Conf. de Notre Dame, 1848, p. 117.• 5. Pour moi qui crains sans cesse de déranger autrui, la pensée d'autrui, le repos d'autrui, la prière d'autrui, tant de sans-gêne me consterne d'abord, puis m'indigne.GIDE, Le Retour du Tchad, 1928, p. 1008.b) Sujet— [En corrélation avec autrui empl. comme compl.] :• 6. On renonce à gêner autrui en rien, et autrui vous en veut de votre renoncement comme d'une offense.AMIEL, Journal intime, 1866, p. 127.• 7. ... on rougit presque sous l'œil d'autrui, comme si autrui devinait que vous venez d'avoir des pensées aussi bêtes.ROMAINS, Les Hommes de bonne volonté, La Douceur de la vie, 1939, p. 63.— Rare. [Empl. seul] :• 8. Le socialisme se recrute, en effet, non seulement parmi les intelligences les plus capables de creuser profondément l'ardu problème de la justice sociale, mais surtout parmi les souffrants de la terre en quête de misères moindres, et parmi les grands cœurs que blesse au vif l'iniquité dont geint autrui.CLEMENCEAU, Vers la réparation, 1899, p. 36.• 9. Autrui nous est indifférent et l'indifférence n'invite pas à la méchanceté.PROUST, La Prisonnière, 1922, p. 111.• 10. Certes, autour de soi, on prônait le dévouement, mais on lui assignait pour limites le cercle familial; hors de là, autrui n'était pas un prochain.S. DE BEAUVOIR, Mémoires d'une jeune fille rangée, 1958, p. 180.Rem. 1. Autrui peut être suj. dans une phrase compar. avec ell. du verbe :• 11. Il jeûnait plus longtemps qu'autrui les jours de jeûne, ...HUGO, La Légende des siècles, t. 1, 1859, p. 122.Rem. 2. À la suite d'un ex. de S. Guitry où autrui est employé comme suj. sans s'opposer à un autre autrui en fonction normale de compl., G. Gougenheim (Fr. mod., t. 17, 1949, p. 36) remarque : ,,Dans cette dernière phrase autrui a pleinement un sens collectif : ce n'est pas « un autre », mais « les autres » : il a un sens analogue à le prochain dans la langue morale ou religieuse. L'auteur semble s'être écarté intentionnellement de l'usage normal, afin d'accentuer, par cette irrégularité, le caractère piquant de sa raillerie.``B.— En partic., PHILOS. ,,... les rapports entre l'individu et le monde sont parmi les principales préoccupations de l'existentialisme de Jean-Paul Sartre; aussi n'est-il point surprenant de le voir élargir et rajeunir la syntaxe de ce pronom, alternative concise et maniable de les autres — le troisième membre de la série synonymique, le prochain, lui étant interdit pour des raisons d'ordre idéologique`` (E. DE ULLMANN ds Fr. mod., t. 17, 1949, p. 225) :• 12. ... ma liberté, en quelque sorte, récupère ses propres limites car je ne puis me saisir comme limité par autrui qu'en tant qu'autrui existe pour moi...SARTRE, L'Être et le Néant, 1943, p. 609.— Plus gén., la philos. mod. emploie beaucoup autrui, substitut pratique de « les autres » :• 13. La solitude et la communication ne doivent pas être les deux termes d'une alternative, mais deux moments d'un seul phénomène, puisque, en fait, autrui existe pour moi. Il faut dire de l'expérience d'autrui ce que nous avons dit ailleurs de la réflexion : que son objet ne peut pas lui échapper absolument, puisque nous n'en avons notion que par elle.MERLEAU-PONTY, Phénoménologie de la perception, 1945, p. 412.Rem. 1. Autrui peut, dans la pensée d'un aut., perdre toute indéfinition, cesser de fonctionner comme nominal et être réduit à représenter un certain nombre de personnes :• 14. Et pourtant, la coquette a beau être bien sûre d'elle : il y a autrui. Autrui est ce qu'il est, indépendamment des qualifications d'un arbitraire complaisant. Autrui, ç'avait été, dans le système Hanotaux, l'Allemagne, qui ne s'était jamais figuré une minute qu'il n'y eût là que jeu...MAURRAS, Kiel et Tanger, 1914, p. 99.Rem. 2. Autrui étant du sing. peut être employé en relation avec les poss. son, sa, ses, soi (même), le(s) sien(s), etc., et non avec leur, leurs, eux (mêmes), bien que certains grammairiens aient condamné cet usage.Rem. 3. Autrui/les autres. Autrui prenant de plus en plus un sens coll. est, le plus souvent, remplacé par les autres. Inversement autrui peut remplacer les autres.— Employé substantivement1. [Précédé d'un art.] :• 15. ... les connaisseurs d'eux-mêmes sont les meilleurs connaisseurs d'autrui, et de l'autrui le plus opposé.DU BOS, Journal, 1921, p. 19.♦ P. plaisant. [S'accordant en genre et en nombre] :• 16. Quand je pense à nous, je pense au temps où l'on pouvait aller errer sur route ou sur plage (Villerville, par exemple) et développer la sensation qu'on était tout à fait coupés des vagues autruis. C'est loin. Nous avons des autruis et autruies plein les — pieds.VALÉRY, Correspondance [avec Gide], 1929, p. 508.2. DR., Vx. L'autrui. Le droit d'autrui, le bien d'autrui.Rem. Loc. en usage au commencement du XVIIe s. selon LITTRÉ.♦ Antéposé comme complément de nom :• 17. — ... et quant à moi, quoique je sois à peine légiste et tout au plus procureur amateur, je soutiens ceci : qu'aux termes de la coutume de Normandie, à la saint-Michel, et pour chaque année, un équivalent devait être payé au profit du seigneur, sauf autrui droit [à l'exclusion du droit d'autrui], par tous et un chacun, ...HUGO, Les Misérables, t. 1, 1862, p. 797.3. SOCIOL. L'autrui généralisé. ,,... Communauté organisée elle-même, dont l'individu intègre les rôles et qui donne l'unité du soi. C'est sous la forme de l'autrui généralisé que le processus social affecte le comportement des individus qui y sont engagés et que la communauté exerce son contrôle sur la conduite de ses membres`` (Sociol. 1970).PRONONC. ET ORTH. :[
]. Durée mi-longue sur la 1re syll. ds PASSY 1914 et BARBEAU-RODHE 1930. FÉR. Crit. t. 1 1787 précise que le mot ,,ne se dit que des personnes, et n'a point de pluriel`` (cf. aussi WAILLY 1808).
ÉTYMOL. ET HIST. — 1. Ca 1100 « un autre, le prochain » (Roland, 1963, éd. Bédier, p. 164 : Ne fait damage ne de meie ne d'altrui); 2. 1262 l'autrui « le bien d'autrui » (J. LE MARCHAND, Miracles N. D. Chartres, éd. Duplessis, 185 ds T.-L. : De l'autrui volentiers prenoit) — début XVIIe s. (MALHERBE, Bienf. de Sénèq., VII, 16 ds DG) sens encore signalé ds BESCH. et qualifié de ,,vieilli`` ds DG.Anc. cas oblique de autre formé à partir du datif de alter alterui pour alteri d'apr. cui.STAT. — Fréq. abs. littér. :2 587. Fréq. rel. littér. : XIXe s. : a) 1 903, b) 1 929; XXe s. : a) 1 660, b) 7 347.BBG. — Autrui. Déf. Lang. fr. 1970, n° 55, pp. 40-41. — DEM. 1802. — Foi t. 1 1968. — FOULQ.-ST-JEAN 1962. — GOUGENHEIM (G.). Autrui sujet. Fr. mod. 1949, t. 17, pp. 35-36. — HENNING (G. N.). A Note on autrui. Mod. Lang. Notes. 1929, t. 44, pp. 107-108. — LAFON 1969. — LE ROUX 1752. — MARCEL 1938. — MARTIN (E.). Le Courrier de Vaugelas 1872, t. 3, p. 59; 1874/75, t. 5, p. 37. — NOTER-LÉC. 1912. — PIERREH. Suppl. 1926. — POPE 1961 [1952], § 870. — RAT (M.). Vieilles loc., mais qui vivent toujours. Déf. Lang. fr. 1965, n° 27, p. 10. — Sociol. 1970. — ULLMANN (S.). A propos d'autrui sujet. Fr. mod. 1949, t. 17, pp. 225-226.autrui [otʀɥi] pron.ÉTYM. 1262; altrui, 1080; cas régime de autre.❖♦ Un autre; les autres hommes. ⇒ Prochain. — Cour. (en compl. prépositionnel). || Agir pour le compte d'autrui, au nom d'autrui. || Vivre en parasite aux dépens d'autrui. || Les dépouilles d'autrui. || Convoiter le bien d'autrui. || S'approprier les pensées d'autrui. || L'amour d'autrui, l'intérêt pour autrui. ⇒ Altruisme, et aussi altérocentrisme. || Compatir aux peines d'autrui. ☑ Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu'on te fasse. Littér. ou didact. (en sujet ou compl. direct.) → ci-dessous, cit. 9 (compl.), 28 (sujet). || Il ne faut pas juger autrui, il faut respecter autrui.1 (…) frotter et limer notre cervelle contre celle d'autrui.Montaigne, Essais, I, 25, De l'institution des enfants.2 La vue des angoisses d'autrui m'angoisse matériellement.Montaigne, Essais, XXXI, Force de l'imagination.3 (…) Regarde en autruiTout ce qui t'y déplait, tout ce qu'on y censure,Et déracine en toi ce qui te choque en lui.Corneille, l'Imitation de J.-C., I, 25.4 Dans le bonheur d'autrui je cherche mon bonheur.Corneille, le Cid, I, 2.5 Nous avons tous assez de force pour supporter les maux d'autrui.La Rochefoucauld, Maximes, 19.6 T'attendre aux yeux d'autrui, quand tu dors, c'est erreur (…)La Fontaine, Fables, XI, 3.7 Le moins qu'on peut laisser de prise aux dents d'autrui,C'est le mieux (…)La Fontaine, Fables, X, 9.8 Manger l'herbe d'autrui ! quel crime abominable !La Fontaine, Fables, VII, 1.9 Tel, comme dit Merlin, cuide engeigner autrui,Qui souvent s'engeigne soi-même.La Fontaine, Fables, IV, 11.10 Je m'érigerai en censeur des actions d'autrui, jugerai mal de tout le monde (…)Molière, Dom Juan, V, 2.11 Le sentiment d'autrui n'est jamais pour lui plaire (…)Et ses vrais sentiments sont combattus par luiAussitôt qu'il les voit dans la bouche d'autrui (…)Molière, le Misanthrope, II, 4.12 Un noble cœur ne peut soupçonner en autruiLa bassesse et la maliceQu'il ne sent point en lui (…)Racine, Esther, III, 9.13 Le roi s'était flatté toute sa vie de faire pénitence sur le dos d'autrui (…)14 Nous n'avons pas assez d'amour-propre pour dédaigner le mépris d'autrui.Vauvenargues, Maximes, 549.15 J'ai toujours eu pour principe de ne faire jamais par autrui ce que je pouvais faire par moi-même.Montesquieu, Cahiers, p. 7.16 Au peu d'esprit que le bonhomme avait,L'esprit d'autrui par supplément servait;Il entassait adage sur adage,Il compilait, compilait, compilait (…)Voltaire, le Pauvre Diable.17 Celui qui t'entretient des défauts d'autrui entretient les autres des tiens.Diderot, Opinions des anciens philosophes, Sarrasins.18 La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui.Déclaration des droits de l'homme, 1791, art. 4.19 Sa haine le portait à blâmer chez autrui ce qu'il conseillait lui-même (…)Louis Barthou, Mirabeau, p. 252.20 Toute notre critique, c'est de reprocher à autrui de n'avoir pas les qualités que nous croyons avoir.J. Renard, Journal, 29 juil. 1895.21 Il advient le plus souvent que l'on ne prête à autrui que les sentiments dont l'on est soi-même capable (…)Gide, Pages de journal, p. 113.22 La complaisance envers autrui n'est pas beaucoup moins ruineuse que celle envers soi-même.Gide, Journal, 25 nov. 1905.23 Mon cœur ne bat que par sympathie; je ne vis que par autrui (…)Gide, les Faux-monnayeurs, I, 8.24 Chacun de nous croit être aux yeux d'autrui ce qu'il est aux siens propres.Edmond Jaloux, les Visiteurs, XV.25 (…) Je sais ce qu'il en coûte de s'attacher à autrui et quelles fibres intimes sont déchirées par l'arrachement des adieux.Edmond Jaloux, Fumées dans la campagne, II.26 (…) ma pitié, ou du moins cette sorte de malaise devant la misère d'autrui, que nous avons accoutumé d'appeler ainsi.F. Mauriac, la Pharisienne, p. 156.27 Par nature, il aimait à se mêler des affaires d'autrui, ce qui était bien une forme d'indiscrétion.J. Romains, les Hommes de bonne volonté, VII, p. 245.28 Autrui, le temps et l'histoire font éclater le champ transcendantal, parce qu'ils sont constitutifs de l'être de l'Ego lui-même et du mouvement qui le porte à la conscience de soi.J.-T. Desanti, Phénoménologie et Praxis, p. 133.♦ N. m. Didact. : L'autrui; des autruis. ⇒ Prochain, semblable.29 Ce qu'elle dit, ce qui anime, illumine tel autrui — il lui importe peu que ce soit par des paroles ou par des formes.Valéry, Cahiers, Pl., t. II, p. 1330.30 (Le sadique) appréhende les autres soit comme des victimes soit comme des complices, mais dans aucun des deux cas ne les appréhende comme des autruis, toujours au contraire comme des Autres qu'autrui.❖DÉR. V. Altruisme. — Autruicide ou altruicide.
Encyclopédie Universelle. 2012.